Société des Amis des Lettres et des arts Je ne sais quand cette lettre te parviendra. Je te l’envoie tout de même, comme un signal de fidélité. Ne commentons pas les événements. Ne parlons pas de notre douleur. Nous sentons et pensons certainement en commun, aujourd’hui comme hier ; et il ne serait pas digne de nous confiner dans le passé. Il n’était pas beau. Le présent est terrible. Reste l’avenir. Il est terrible lui aussi. Mais il faut mieux encore le regarder en face que de se détourner de lui. En mettant, il y a quatre ou cinq jours, un peu d’ordre dans mes papiers, j’ai retrouvé une lettre que tu m’avais envoyée le 3 janvier. C’est une lettre de Nouvel An. Et j’ai été frappé des paroles que tu m’as écrites alors ; « Lhermétisme chrétien doit nous avertir que 40 est un arcane d’épreuve (les 40 ans d’Istraël au desert ; les 40 jours du déluge, etc.). Je crois qu’il faut s’armer de résolution grave et se réconforter par l’autre aspect de l’arcane, qui est celui de préparer une rénovation ». Préparons la rénovation. La meilleure manière de repartir, c’est je crois, d’essayer de se joindre, de relier les amitiés, de renforcer l’esprit d’église, au sens propre du mot. Lourmarin reste pour moi le havre spirituel, géographique, religieux et humain. Mais j’y reviens plus chargé que jamais d’un désir qui nous est commun, à toi et à moi, et qui s’alimente au besoin de spiritualité. J’entends par là de spiritualité vraie, et non-pas découragés. Tel est notre état d’âme, peut-être allons-nous tous perdre, ici. Je songe donc très vivement à acquérir, s’il en est temps encore ; un très modeste bien en Provence. Je dis à dessein ; très modeste. Désormais nous n’avons plus les moyens ni le loisir de nous montrer bien difficiles sur le choix du site, le caractère de la maison, etc.
Y a-t-il tout de suite quelque chose à vendre ? une petite bâtisse et un peu de terre (avec de l’eau) sur les territoires de Lourmarin, Puyvert, Vaugines, Cadenet, Lauris, Cucuron? Quatre pièces nous suffisent, avec un puits ou une source, une petite terre de 3 ou 4 hectares, cultivables en potager, avec quelques fruitiers, un peu de vigne, si possible de quoi se fournir soi-même de légume et à la rigueur de produire 200 litres de vin...). Donne- moi des nouvelles aussi ; de toi, de ta femme, de ton fils, des gens de Lourmarin et du château. fais mes amitiés à ceux que tu pourras voir. Les 4400 volumes d’hyacinthe imprimés et prêts à voir le jour ont dù brûler à Tours, où l’imprimeur les avait en dépôt. J’ai gardé et déposé en divers lieux ; deux copies dactylographiées et trois jeux d’épreuves. Je « poste" ma lettre, avec l’espoir qu’elle trouvera un moyen de transport. Lequel ?
Et j’attends ta réponse avec impatience. Nous t’embrassons tous deux, toi et Laure et François. Sempre mai. Henri
Henri Bosco
avenue de Marrakech
Rabat Maroc
Mon cher Noël